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mardi 13 mars 2012

Happy DDay Greg' !

Comme il me faut toujours une raison à tout, et pour ne pas écrire comme on court sur un tapis d'entraînement, je rôdais sur le net... je chassais... un déclic, une association d'idées, une image qui me ferait de l'oeil...

Saint Grégoire Ier inspiré par le Saint Esprit
Maître de Mazarine, Grandes Heures de Jean de Berry
Latin 919, f.100 - BnF, Occ.
© BnF
Eureka !! Hier c'était le 12 mars ! Jour de la mort de Grégoire Ier le Grand (540-604), glorieux pape du VIe siècle sans qui bien des étudiants en histoire de l'art n'auraient pu rédiger leurs introductions... car rappelons que, notre Grégoire, chef de projet d'une réforme éponyme, est également l'illustre auteur des fameuses lettres à l'évêque Serenus de Marseille, de 599 et 600, qui développent l'argumentation canonique en faveur de la fonction pédagogique des images : « les images doivent être placées dans les églises, afin que ceux qui ne savent pas les lettres lisent toutefois en regardant sur les parois ce qu'ils ne peuvent lire dans les livres », la Bible illustrée, tout ça, tout ça... Autant dire que Grégoire, c'est un peu la tarte à la crème de l'iconographie... mais c'est pour ça qu'on l'aime...
Alors, pour célébrer dignement cette pop star de l'histoire des images, j'ai décidé de me pencher sur l'iconographie de la Messe de saint Grégoire, sujet hybride qui se diffuse dans les arts à partir du XIVe siècle et associe la figure du saint pape au thème du Christ souffrant


De la légende de la messe miraculeuse

La vie du pape Grégoire Ier fut rédigée au VIIIe siècle par Paul Diacre (puis résumée par Jean Diacre au XIe) qui le premier attribue au saint ce miracle eucharistique. Dans sa première version, également reprise par Jacques de Voragine, la légende n'avait rien à envier aux films d'épouvante de mon enfance (ndlr : ceci expliquant donc cela...).
La Messe de saint Grégoire (Ecole française)
Huile sur bois - H.60cm
XVe siècle
Musée du Louvre
© RMN-GP
En cette fin du VIe siècle, saint Grégoire officiait à l'église Sainte-Croix-de-Jérusalem à Rome (Santa Croce pour les intimes) et chaque dimanche, une fidèle dévouée offrait le pain de messe au bon curé.  Un jour, alors que Grégoire lui tendait l'hostie consacrée, l'insolente se mit à pouffer, expliquant que ce que le saint homme appelait "corps du Christ" n'était à ces yeux qu'une miche de pain pétrie et mise au four par ses soins... Outré, Grégoire lui retira l'hostie de la bouche et déposa la sainte espèce sur l'autel avant d'invoquer le Tout Puissant... En réponse à ses prières et pour confondre l'incrédule, le pain béni prit aussitôt la forme du doigt sanglant du Christ"Quand il se releva, il vit que l'hostie déposée sur l'autel s'était changée en un morceau de chair ayant la forme d'un doigt. Il montra alors cette chair à la femme incrédule, qui revint à la foi. Et le saint pria de nouveau, et la chair redevint du pain, et Grégoire la donna en communion à la femme." ( Voragine, La Légende Dorée, trad.Wyzewa, 1939, p.174).
Pourquoi le doigt précisément ? Je me suis penchée sur la question, considérant dans un premier temps qu'il pouvait s'agir de l'évocation de la Trinité dont la main aux trois doigts joints est un symbole traditionnel. Mais cela n'est pas vraiment satisfaisant... peut-être le membre fait-il écho ici au thème du doigt qui désigne (Jean-baptiste désignant l'Agneau de Dieu) et du doigt qui accuse (le doigt accusateur de la Justice Divine). Le doigt, qui incarne la notion même de destinée, matérialise en ce sens l'essence du Christ. Mais ceci ne suffit pas à justifier le côté sanguinolent de la chose...
L'incrédulité de saint Thomas (apôtre)
Bible historiale - Fçs  152, f.447v
XIVe siècle - Saint-Omer
© BnF
On pense donc à ce célèbre texte de l'Evangile de saint Jean (Jn XX, 19-31) : "Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté : cesse d'être incrédule, sois croyant. " Le doigt pourrait dès lors être une référence explicite à l'incrédulité de Thomas devant le miracle de Résurrection, à mettre ici en parallèle avec le scepticisme du croyant face au miracle de la transsubstantiation. Pour ceux qui auraient passé leurs cours de caté à faire des carrés magiques, ou pis ! pour les incroyants, petit rappel : le terme de trans-substantiation, comme sont nom l'indique, désigne la conversion du pain et du vin en corps et du sang du Christ après la consécration ; le mystère de la transsubstantiation est au fondement même du sacrement eucharistique puisqu'il proclame la réalité du changement de substance des espèces eucharistiques. Pour une explicitation de ces différentes notions, voir notamment cet article : La transsubstantiation et les miracles eucharistiques. S. Thomas d’Aquin (†1274). 
Le motif du doigt permettrait donc d'affirmer la présence réelle du Christ dans les Saintes Espèces tout en rappelant le sacrifice nécessaire et programmé du Fils du Dieu, sacrifice que commémore l'eucharistie. Le sang ne vise ici peut-être pas tant à évoquer les souffrances du Christ qu'à en désigner la fonction eschatologique, à savoir la rédemption des péchés. La légende dévoile ainsi sa dimension essentiellement dogmatique, un discours que s'attacheront à véhiculer ses représentations.

Robert Campin, La messe de saint Grégoire
Huile sur bois - 85 x 73cm
vers 1415
Musées Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles, Belgique
Dans les derniers siècles du Moyen Âge, cette version très "Hannibel Lecter" du miracle cède le pas à une tradition nouvelle dans laquelle le saint doigt est remplacé par la figure même du Christ apparaissant à saint Grégoire sous l'aspect de l'homme de douleurs. 
Dans ces représentations, le Christ se tient debout sur l'autel. Face à saint Grégoire et à l'assemblée des fidèles, il presse généralement son sein d'où s'écoule son sang recueilli dans un calice. Tout autour de lui apparaissant les instruments de la Passion. Ce schéma se développe à partir de 1350 jusqu'au XVIe siècle en Europe du Nord, période durant laquelle il sera notamment diffusé par les livres d'Heures et l'imprimerie.

Ecce l'"homme de douleurs"

Ici encore, une petite précision s'impose (d'où l'intérêt de l'iconographie de la Messe de saint Grégoire) quant à la signification de ce thème de l'"homme de douleurs". Il pourrait se comprendre comme l'interprétation symbolique de la scène biblique de l'Ecce Homo (voir Ponce Pilate et foule en délire, Évangile de Jean 19, 5). De fait, l'iconographie de l'Homme de douleur, qui consiste en une représentation du Christ assis, libéré de ses liens, exposant son corps meurtri,  n'a pas de source biblique directe et illustre une situation fictive. L'image vise avant tout à représenter le triomphe du Christ sur la mort non par la figure du Ressuscité triomphant mais par celle du supplicié ayant enduré le martyre. On conçoit assez clairement que la thématique centrale de cette iconographie n'est autre que l'humanité du Christ, conçue comme ce substrat nécessaire à l'actualisation du Salut...

Triptyque de la Messe de saint Grégoire (détail)
Ecole allemande, Rhénanie du Nord
Huile sur bois - H.100cm / XVe
cons. MNMA © RMN-GP
Les instruments de la Passion par le menu

L'évènement fondamental qu'est la Passion est rendue d'autant plus tangible par la présence des arma Christi ou instruments de la Passion, objets ou motifs iconographiques isolés visant à matérialiser les supplices du Christ.

Voici une liste non-exhaustive de ses éléments iconographiques (voir détail Triptyque ci-contre ; de haut en bas et de G à D) :

- la lance du centurion ; la lance portant l'éponge imbibée de vinaigre ; les clous ; les tenaille ; le glaive de saint Pierre (utilisé pour couper l'oreille du grand prêtre)
- Echelle pour dépendre le corps des crucifiés ; croix ; la main qui gifla le Christ ; la servante coiffée d'un turban qui voulu dénoncer Pierre ; Hérode couronné (?) ; les pots de myrrhe (?) qui servirent pour l'embaumement
- les dés ; la Tunique sans couture ; le Voile de Véronique ; le marteau ; les fouets de la flagellation : le coq du reniement de saint Pierre ; la colonne de la flagellation ;
- la cruche utilisée par Ponce Pilate pour se laver les mains ; le baiser de Judas ; la lanterne des gardes ; la tête du grand prêtre Caïphe
C'est donc l'ensemble des évènements de la Passion du Christ qui sont ici rassemblés, auréolant le Christ souffrant venu (explicitement) verser son sang pour le salut du monde. Quoi de plus éminemment dogmatique que cette iconographie propre à matérialiser l'essence même du sacrement eucharistique.

Une imago pietatis ?

Jérôme Bosch, Messe de saint Grégoire
(pann. ext. du Triptyque de l'Adoration du Mages)
v.1470-1475
Madrid, Musée du Prado
Les images de la Messe de saint Grégoire se font en outre l'écho du courant de réforme spirituelle qui anime le XVe siècle, la devotio moderna, caractérisé par la dévotion à la Passion et à l'Eucharistie. Cette sensibilité nouvelle favorisa un type de piété fervente et mystique, incitant à la pratique de nombreux exercices pieux, de style méditatif et de ton affectif, centrés sur  l'imitation du Christ et la contemplation de son supplice. Mettant l'accent sur l'expérience personnelle et le recours à l'introspection, cette dévotion moderne tend à remettre en question le bien fondé de la médiation ecclésiastique et par extension du clergé et des sacrements (sorte d'avant goût à la Réforme protestante)...  ce qui, bien entendu n'est pas vraiment du goût de l'Eglise catholique qui n'aura de cesse de réaffirmer la nécessité du dispositif liturgique et notamment le rôle fondamental de la messe.
En ce sens, l'iconographie de la Messe de saint Grégoire sert pleinement les desseins de l'Eglise puisque tout en offrant au fidèle un support pour la méditation sur les souffrances du Christ, elle révèle le pendant dogmatique du récit des Évangiles en démontrant la dimension commémorative du sacrement eucharistique. Une dimension qui s'exprime nettement dans le Triptyque de L'Adoration des Mages réalisé par Jérôme Bosch : la Messe de saint Grégoire, placée sur les panneaux extérieurs, trouve ici sa justification dernière dans l'Incarnation, représentée sur le panneau central intérieur, selon un principe de résonance qui fonde à lui-seul la nécessité de l'Eglise.

On comprend mieux dès lors pourquoi certaines indulgences étaient affectées aux prières devant les images de la Messe de saint Grégoire... Le système des indulgences permettant au fidèle sacrifiant à certains actes de piété, de charité ou de dévotion de réduire son temps de Purgatoire... Le croyant appelé à contempler l'image de saint Grégoire contemplant l'image du Christ souffrant était amené à  comprendre les principes du mystère de la transsubstantiation, une mise en abyme qui n'aurait pas déplu à notre Grégoire....

  

1 commentaire:

  1. Effectivement "ceci explique cela" ...je préfère nettement l'iconographie du "doigt sanglant"!

    Super intéressant et beaucoup d'humour dans l'écriture! bravo!

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