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jeudi 7 octobre 2010

"D'or et de feu" : l'art slovaque s'expose à l'Hôtel de Cluny / # 1

Le Musée National du Moyen Âge se met à l'heure slovaque. Depuis le 16 septembre dernier vous pouvez découvrir  dans la salle du frigidarium des thermes gallo-romains une exposition organisée en partenariat avec la Galerie Nationale de Bratislava qui propose une initiation à l'art en Slovaquie à la fin du Moyen Âge

Aujourd'hui état indépendant, la Slovaquie constitua pendant près de mille ans la partie septentrionale du Royaume de Hongrie. Cette "Haute-Hongrie", va connaître à partir du XIVe siècle un essor extraordinaire. Sa puissance économique, fondée sur l'exploitation minière, apporte la prospérité et avec elle sa cohorte de grands commanditaires venus de pays germaniques.
La Slovaquie devient ainsi l'un des principaux foyers artistiques du XVe siècle, s'imposant comme un représentant majeur de cette "troisième Europe" qui, aux portes de l'Islam, ne cesse de s'épanouir à la frontière des mondes latin et orthodoxe
Cette diversité culturelle et religieuse permet l’émergence de figures artistiques locales qui, effectuant "une synthèse des styles des régions environnantes, [génèrent] un art qui leur est propre, fait de monumentalité et de sens dramatique".

En 2009, l'exposition "Le Bain et le Miroir" consacrait la réouverture de cet espace muséal hors du commun que sont les vestiges des termes de Cluny, en particulier cette splendide "salle froide" dont la voûte de 15m de haut vient de faire l'objet d'une importante campagne de restaurationClair et grandiose, le frigidarium met parfaitement en valeur la soixantaine d'oeuvres exposées dont les couleurs flamboyantes et la richesse décorative se dessinent sur fond de parement gallo-romain en briques et calcaireLe parcours muséographique s'organise en trois temps : 
1. L'art des retables : peinture de panneaux et sculpture ;
2. L'orfèvrerie en Slovaquie : un art de synthèse
3. Les manuscrits enluminés et les lettres d'armoiries dans le royaume de Hongrie au Moyen Âge.

Il est temps, à présent, d'approcher d'un peu plus près ces chefs-d'oeuvres...
Ndlr : Le présente article s'intéresse en priorité au premier temps de l'exposition, non par favoritisme mais par souci d'illustration. Les pièces d'orfèvrerie, exposées en vitrine dans la pénombre des therrmes, ne pouvaient faire l'objet de clichés réellement satisfaisants, tandis que mon petit coeur de conservateur en devenir n'a pas pu se résoudre à mitrailler  les manuscrits présentés...

Christ tenant l'âme de la Vierge de Spissky Stvrtok
Bois (tilleul) - autrefois polychrome
Nuremberg - après 1450
Kosice, Vychodoslokenska galeria

Elément de retable, cette sculpture illustre un thème iconographique de la tradition byzantine : le Christ et l'animula de la Vierge. Cette image, fortement conceptualisée, représente le Christ recevant l'âme de sa mère au jour de sa mort (ou Dormition de la Vierge). De nombreuses icônes associent ainsi le groupe des apôtres pleurant sur le corps de la Vierge au Christ tenant dans ses bras un jeune enfant emmailloté, allégorie de l'âme de la Theotokos ("Mère de Dieu"). Cette image est liée à la croyance devenue dogme selon laquelle la Vierge, au terme de sa vie terrestre, aurait été élevée en corps et en âme à la gloire céleste. Le schéma iconographique retenu par l'artiste reproduit ici celui des Vierges à l'Enfant médiévales. 



Trône de Grâce
Bois (tilleul), polychromie
Comte de Spis ou Saris - vers 1500
Bardejov, église catholique romaine Saint-Gilles

Ici encore la mise en oeuvre d'une iconographie qui mérite quelques précisions... il s'agit du thème dit du "trône de grâce" qui associe le Christ, Dieu le Père et la colombe du Saint-Esprit (ici manquante). Cette image par essence synthétique (non-narrative) se présente donc comme une représentation de la Trinité ; elle est à ce titre également appelée "Trinité verticale". Ce thème, qui n'a pas de sources bibliques directes, se développe à partir du IVe siècle : Dieu le Père en majesté apparaît présentant son Fils crucifié, la colombe faisant le lien entre leur deux visages. A partir du XIVe, le thème gagne en pathétique et c'est dorénavant le cadavre du Christ que le Dieu le Père soutient et présente au croyant.


Relief de la Nativité dit de Hlohovec
Bois (tilleul), polychromie
Vienne et Bratilava - vers 1480/1490
Prov. Cathédrale Saint-Martin, Bratislava
Bratislava, Sloveska narodna galeria


Cette oeuvre surprenante permet d'apprécier les grandes caractéristiques de l'art des retables slovaques : la monumentalité, l'opulence des décors et la complexité de la structure architecturale.

Sculptures des saints hongrois Etienne et Ladislas
Bois (tilleul), polychromie
Comté de Spis - début du XVIe siècle
Budapest, Magyar Nemzety Galeria


Saint Etienne  Ier de Hongrie est considéré comme le fondateur du Royaume de  Hongrie. Converti au catholicisme à l'âge de dix ans, il est couronné le roi le jour de Noël de l'an 1000 et imposera le christianisme en Hongrie.
Saint Ladislas Ier fut roi de Hongrie de 1077 à 1095 et canonisé en 1192 pour avoir achever la christianisation du royaume. 

 
Saint Nicolas Saint                                     Saint Nicolas de Plavec
Bois (tilleul), polychromie
Comté de Spis - fin du XV et début du XVIe siècle
Bratislava, Slovenska Narodna galeria / Bardejov, Sarisske Muzeum
Les trois sphères que tient ici le saint dans sa main gauche font référence à l'un des épisodes de sa vie, celui dit des trois bourses d'or. Apprenant qu'un homme, réduit à la plus extrême des pauvreté, envisageait de prostituer ses trois filles, saint Nicolas leur fit en secret une dotation en jetant par la fenêtre de leur maison trois sac de pièces d'or. Les jeunes filles purent ainsi se marier et échapper à un destin tragique. Rapporté par Voragine, cet épisode fait de saint Nicolas une des principales figures de doteur charitable.

Deux évêques provenant de Marianka
Bois (tilleul)
Vienne - après 1500
Bratislava, Slovenske Narodne muzeum, Historicke muzeum

Vierge d'Annonciation
Bois (tilleul), polychromie / 148,5 cm
Vienne et Bratislava - vers 1480/1490
Vel'ky Biel, église catholique Sainte-Croix


jeudi 2 septembre 2010

Le vieux plomb de la semaine

Enseigne de pèlerinage : saints Côme et Damien


Enseigne de pélerinage : Saints Côme et Damien
Matériau : alliage plomb et étain (moulé)
Diamètre : 31 mmm
Prov. Luzarches, Val d'Oise (?)
Cons. Musée Carnavalet
Avant toute chose, commençons par examiner cet objet a priori informe et illisible... oui, oui, je vous entends soupirer... "qu'est ce que c'est encore que ce vieux bout de plomb qu'elle essaie de nous faire prendre pour une pépite d'or..." et pourtant...
Donc, que voyons nous ? Une plaque circulaire de 3 cm de diamètre portant un décor historié sur son avers ; le revers étant laissé nu (peut-être pour y placer un mode de fixation ou suspension aujourd'hui perdu...). Cette image, bien qu'abimée par le temps et les eaux de la Seine où elle fut découverte, peut-être identifiée. Il s'agit d'une représentation des saints Côme et Damien, figurés debout en position frontale de part et d'autre d'un évêque dont on ignore l'identité. 

Et cela comment le sait-on ? et bien parce que les personnages sont nimbés (nimbe étant le terme adéquat pour auréole), ce qui signifie qu'il s'agit de personnages saints. En outre, le personnage central est coiffé d'une mitre et tient une crosse, attribut caractérisant en particulier les évêques (ou bon d'accord y'a les abbés aussi mais bon...). Quant à nos saints, ils portent le manteau à col de velours  et le bonnet des médecins qui les caractérisent dans l'iconographie religieuse ; de plus, ils tiennent dans leur mains un pot à onguent...attribut également caractéristique... pourquoi ? vous allez tout comprendre...

Miniature : saint Côme et saint Damien
Bréviaire à l'usage de Paris / vers 1414
Châteauroux - BM - ms. 0002 / f.343v
Crédit : IRHT - CNRS
Qui sont ces saints que je peine ici à voir ? Côme et Damien étaient des frères jumeaux venus d'Arabie en Cilicie (sud-ouest de l'actuelle Turquie) pour y exercer gratuitement la médecine et ainsi diffuser la foi chrétienne auprès de leurs patients. Leur science associée à un don divin leur fit accomplir de nombreuses guérisons miraculeuses si bien que les patients et futurs convertis affluèrent de toutes parts. 

Ceci ne fut pas vraiment du goût de l'administration romaine... nous sommes alors à la fin du IIIe siècle, sous le règne de Dioclétien, qui n'épargnait pas ses efforts dans les persécutions anti-chrétiennes. Nos deux frères anargyres (qui n'acceptent  aucune rétribution) furent donc accuser de séduire le peuple et de faire déserter les temples des dieux. Refusant de renier leur foi, ils furent exécutés ou, en termes hagiographiques, ils subirent le martyr. 

Saint Côme et saint Damien sauvés de la noyade
Zanobi Strozzi
Tempera sur bois - vers 1435
Museo di San Marco, Florence
Les détails de leur supplice ses multiplièrent à mesure que leur légende se constituait... On rapporte qu'ils furent enchaînés dans ma mer d'où un ange vint les sauver. Ils furent ensuite brûlés vifs attachés à un poteau mais les flammes se retournèrent contre leur bourreaux (une bête histoire de vent, je présume). On voulut les faire lapider puis transpercer par les flèches mais aucun projectile ne les touchait. A court d'idée, le proconsul Lysias les fit décapiter, ce qui demeure la solution la plus efficace.

Les restes des martyrs, jugés miraculeux, furent enterrés à Cyr, ville épiscopale de Théodoret (Syrie). L'empereur Justinien (527-565) transféra leurs reliques à Constantinople où il fit construire et orner une église qui leur fut dédiée et devint un lieu de pélerinage. À Rome, le pape Symmaque (498-514) leur dédia un oratoire et Félix IV (526-530) une basilique au Forum, dont les mosaïques sont parmi les plus précieux vestiges de la cité.

Le culte de ces saints guérisseurs orientaux se répand en Occident grâce à la Légende dorée de Voragine (oh surprise !), c'est-à-dire dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Un miracle atypique leur est attribué que l'on verra souvent représenté : la guérison du diacre Justinien

Guérison de Justinien par saint Côme et saint Damien, Fra Angelico
Tempera sur bois / 1438-1440
Museo di San Marco, Florence
Guérison atypique donc car elle aurait résulté de la greffe d'une jambe empruntée à un Noir défunt sur le sacristain atteint d'une gangrène gazeuse. Il n'en fallut pas plus pour que Côme et Damien deviennent les saints patrons des chirurgiens et des barbiers. C'est pourquoi ils apparaissent également au revers d'un méreau de la corporation des barbiers-chirurgiens, exécutants des basses oeuvres chirurgicales, également découvert et étudié par Forgeais. 

Eglise Saint-Côme-saint-Damien, Luzarches / XIIe- XVIe
Crédit : RMN - Médiathèque du Patrimoine
Ce culte, comment souvent, s'appuyait sur la vénération de reliques qui furent rapportées de l'Orient au XIIe siècle par Jean de Beaumont, seigneur de Luzarches, parti en croisade. Il confia une partie des saints reliques à l'Eglise de Rome, en déposa également à Paris, dans l'église Saints-Côme-et-Damien disparue en 1836, puis en offrit à la collégiale de Luzarches qui devint un important centre de pèlerinage de la région parisienne. 

Cette "dispersion" des reliques sur le territoire français ne nous permet donc pas d'affirmer que cette enseigne vienne d'un sanctuaire plutôt que d'un autre. On notera cependant que deux exemplaires similaires, pouvant être datés du XIVe ou du XVe siècle, sont conservés au Musée National du Moyen Âge à Paris, ce qui témoigne de la relative fréquentation du sanctuaire qui les produisait. 


Saint Côme et saint Damien
Bois peint / H.130 cm / XVIIIe
église paroissiale Saint-Damien
Brémur (Bourgogne
Miniature : saints Côme et Damien
Bréviaire romain / Fin du XVe siècle
Clermont-Ferrand - BM - ms. 0069 / f.558vCrédit : IRHT - CNRS


Et c'est ainsi qu'un petit bout de plomb, aujourd'hui oublié dans le tiroir en métal d'un cabinet de numismatique nous met sur la piste de jumeaux chirurgiens venus d'Orient pour greffer une jambe d'éthiopien sur un diacre et essaimer leurs crânes aux quatre coins de l'Europe...Madrid, Münich ou encore Brageac en Cantal revendiquant la possession de ces illustres reliques... 

Qui a dit que les enseignes ne savaient pas parler ? :)

mercredi 1 septembre 2010

Les lanternes des morts

La lanterne des morts de Sarlat (Dordogne)

-

Lors de mon escapade en Périgord noir, je suis tombée nez-à-nez avec un monument étrange... une haute tour de forme cylindrique placée en surplomb de la cathédrale Saint-Sacerdos de Sarlat, à quelques mètres du chevet. 

Intriguée, je monte quatre à quatre le chemin pavé qui y menait, passe la porte percée dans le mur de l'ancien cimetière et découvre un panneau indiquant :

"Lanterne des morts. Construite au milieu du cimetière bénédictin, son architecture est unique en France, liée à la liturgie de l'abbaye romane." Oui, certes mais tout cela ne me renseigne pas vraiment sur la finalité de la chose. 
 
Lanterne des morts, Sarlat-la-Canéda
dite "Tour Saint-Bernard"
XIIe siècle
Quelques recherches plus loin, j'en sais un peu plus sur les fonctions et l'origine de ces bâtiments construits pour la plupart au XIIe siècle, donc dans un style roman, et que l'on retrouve essentiellement dans le sud-ouest de la France. Ces édifices maçonnés se présentent comme des tours creuses, de formes diverses, sommées d'un pavillon ajouré doté d'au moins trois ouvertures. À la base, une petite porte donne accès à un vide ménagé à l’intérieur, espace qui peut accueillir un escalier ou, plus souvent, quelques encoches latérales permettant l’ascension d’un homme.
   Lanterne des morts, Cellefrouin (Charente)
XIIe siècle

Lanterne des morts, Culhat (Puy-de-Dôme)
XIIe siècle

Tour-lanterne de Sarlat, vue intérieure de la voûte
Crédit : Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine
Au crépuscule, un système de poulies permettait d'y hisser une lampe allumée qui devait guider les âmes des défunts vers le repos éternel, raison pour laquelle ils sont érigés aux abords des cimetières.

Une tradition celte voudrait également que la lumière ait une fonction protectrice en retenant la mort pour l'empêcher de s'abattre sur les vivants. Dès le XIXe siècle, Eugène Viollet-le-Duc recherche une filiation entre les lanternes des morts et les menhirs. Cette hypothèse repose sur l'idée selon laquelle le Limousin et le Poitou auraient respectivement été évangélisés par des moines irlandais et des Pictes.

Enfin, la cartographie des tours conservées laisse à penser que ces fanaux jalonnaient les grandes axes du pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle.

La tour-lanterne de Sarlat se dressait donc dans le cimetière de l'abbaye bénédictine d'origine carolingienne autour de laquelle s'est développée la cité médiévale. Dédiée au Sauveur et à saint Sacerdos, l'abbaye se dote ici d'un édifice évoquant probablement la tour de la Résurrection du Saint-Sépulcre de Jérusalem.

L'utilisation de la lumière dans un contexte funéraire relève d'une tradition ancienne qui se poursuit tout au long de l'époque romane. Elle trouve ses racines chrétiennes dans les textes bibliques qui font de la lumière, création divine, une préfiguration du royaume céleste mais également une manifestation du Christ, protecteur des âmes. Ces thèmes eschatologiques sont récurrents dans la liturgie funéraire romane et notamment dans de nombreuses oraisons funèbres : "Je leur donnerai le repos de l’éternité, car il est proche, celui qui viendra à la fin du monde. Soyez prêts (parate esto) aux récompenses du royaume, car la lumière perpétuelle luira sur vous durant l’éternité des temps (IV Esdr. 2, 34)". 

L'abbaye dans un bois de chêne, David Caspar Friedrich
1809-1810
Nationalgalerie, Berlin
La lumière est également un élément fondamental de protection contre l'angoisse de la mort, les mystères de l'au-delà et les dangers du cimetière. Lieu intermédiaire entre le monde terrestre et le Purgatoire, le cimetière est une frontière dangereuse, un lieu propice aux manifestations surnaturelles de tous ordres. On notera que c'est autour des XIe et XIIe siècles que vont véritablement se développer les récits sur les revenants, tantôt bienveillants, tantôt menaçants. 


jeudi 19 août 2010

Escapade périgourdine

Cathédrale Saint-Front de Périgueux



Avant tout, histoire de nous mettre en jambes, un petit détour hagiographique... Quid de saint Front ?
Notre connaissance du saint s'appuie sur plusieurs Vitae (la vita étant un récit biographique à forte tendance apologétique) qui furent rédigées entre le VIIIe et le XIIe siècle et cherchent pour la plupart à asseoir la primauté de saint Front sur saint Martial dans l'introduction de la foi chrétienne en pays aquitain

Saint Front, ou Frontus, apôtre du Périgord et compagnon de saint Georges de Velay, aurait été le premier évêque de Périgueux. La tradition voulait, originellement, que leur mission d'évangélisation leurs fut confiée par saint Pierre en personne ou du moins par des disciples du Christ. Il apparaît aujourd'hui que saint Front aurait vécu dans la seconde moitié du IVe siècle. Joies et bonheurs des textes apocryphes... Apparemment la "légende de saint Front" serait le fruit de la fusion  des vitae de l'ermite saint Front, né en Périgord, et de saint Fronton de Nitrie (Egypte) ... Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
l'évêque Chronope
Vitrail XIXe
Cathédrale Saint-Front
Notre saint Front se serait donc installé dans une grotte de la colline du Puy qui domine Vésone, l'antique Périgueux. Sa réputation de saint homme se propage et l'on raconte qu'il aurait libéré la région de la menace d'un monstrueux serpent, la Coulobre, qui dévorait les animaux et les hommes. Saint Front l'aurait arrêté du signe de la croix et précipité dans la Dordogne. Ceci étant établi, son principal attribut iconographique devint le dragon et sa protection est traditionnellement invoquée contre les serpents.
Progressivement, l'ermite regroupe autour de lui plusieurs disciples et fonde un oratoire dédié à la sainte Vierge où il choisit de se faire ensevelir.



Plan de la cathédrale Saint-Front
Le culte de saint Front n'est attesté dans la région de Périgueux qu'à partir du VIe siècle, date à laquelle l'évêque Chronope II fait bâtir une nouvelle église dédiée au saint dont les reliques sont transférées dans la crypte placée, oh surprise, sous le choeur. 
La "vieille église" se composent de deux constructions différentes, l'une datée de l'époque mérovingienne (l'actuel parvis), l'autre de l'époque carolingienne. La façade primitive fut remplacée au XIIe siècle par un portail en contre-bas, s'ouvrant sous un arc brisé et non plus en plein cintre. L'édifice, aujourd'hui à ciel ouvert, se composait d'une nef unique couvert d'une simple charpente. Les quatre grosses piles d'angle étaient destinées à recevoir une coupole qui n'a jamais été construite.

Chapelle funéraire aménagée
au XVIe siècle dans le mur sud-est
 de l'église mérovingienne
Eglise mérovingienne.
Vue Est
Portail XIIe siècle


A l'est, succédait à cet ancien bâtiment, l'église carolingienne, de plan basilical, qui se situait sous l'actuel clocher. La nef, contrairement aux collatéraux,  n'était pas voûtées et le choeur s'ouvrait sur la crypte de saint Front, aujourd'hui disparue. Deux coupoles couvrent à présent ce que fut cette église carolingienne.

En pénétrant plus avant dans l'édifice, on découvre, au nord et au sud de l'église à coupole actuelle, deux chapelles latérales, communément appelées confessions, dont on ignore la fonction précise. La confession nord daterait probablement du VIIIe siècle tandis que celle du sud remonterait au IXe siècle.


Ce que l'on nomme aujourd'hui "vieille église" ou église latine ne sera consacrée qu'en 1047. Il s'agit alors d'une construction de style roman dont le clocher droit fut conservé lors des restaurations du XIXe. S'élevant à 62m, ce clocher de section carrée est d'une conception originale et comprend quatre niveaux en retrait.


Détruite par un incendie en 1120, l'église est reconstruite sur un plan en croix grecque voûtée de cinq coupoles. Partageant le choeur de l'église primitive, elle n'est donc pas orientée mais occidentée
Plus tard, on transfère le tombe du saint patron à l'est ; les reliques quittent ainsi la crypte pour rejoindre le sanctuaire supérieur. 

L'utilisation de la coupole n'est pas rare alors dans la région du Sud-Ouest (Saint-Etienne de Cahors, Sainte-Marie de Souillac, etc.) mais la particularité de Saint-Front réside dans l'agencement irrégulier de ses coupoles, de formes et de hauteurs distinctes, et sommées de clochetons. 

Elles furent toutes refaites sur le même modèle au siècle dernier. Les grands arcs sont aujourd'hui en plein cintre alors qu'ils étaient sans doute brisés ; quant aux piles de support, elles présentent une section de 6m sur 6m et sont percées de passages en équerre. Les arcs épousent habilement l'arrondi des pendentifs qui permettent de passer du carré de la base au cercle de la calotte. Chacune de ces calottes présente un diamètre de 13m et est allégée par quatre baies en plein cintre.


L'abside en hémicycle a remplacé une chapelle gothique du XIVe, dédiée à saint Antoine. Voûtée d'un cul-de-four, elle est scandée de pilastres cannelés surmontés de colonnettes jumelées portant des arcs de revêtement.


 
Centrée sur le tabernacle et son grand retable du XVIIe siècle, elle sert aujourd'hui de chapelle du Saint-Sacrement, le choeur ayant été transféré sous la coupole centrale en 1968. Ce retable baroque provient du collège des jésuites et représente, croyez-moi sur parole (bois sur bois, c'est pas vraiment évident) une Assomption de la Vierge, encadrée par une Annonciation. Au sommet, le Christ assisté de deux anges tient la couronne qu'il va poser sur la tête de sa mère.


Le maître-autel, présenté aujourd'hui sous la coupole centrale, est dû à l'artiste Yves-Marie Froidevaux, architecte en chef des monuments historiques qui réalisa de nombreuses restauration de constructions médiévales. 


L'ancien maître-autel, daté du XVIIIe siècle, est actuellement présenté dans l'absidiole sud, en partie ancienne. 

L'église n'acquiert son titre de cathédrale qu'en 1669. De 1852 à 1895, elle fera l'objet d'une grande opération de restauration menée par Paul Abadie, architecte qui sera sélectionné pour la construction du Sacré-Coeur à Paris. Il s'agit alors d'une véritable oeuvre de reconstruction, la plupart des coupoles s'étant effondrées et ayant été recouvertes d'un grand toit d'ardoise au XVIIIe siècle. 
Toutes les irrégularités et dissymétries propres à l'édifice ont été rectifiées ou gommées. La quasi totalité des sculptures a été refaite et de nombreux reliefs ont été déposés dans le cloître ou au musée du Périgord. Abadie ajouta une porte au nord, dite porte du Greffe, ainsi que l'abside centrale. Il agrémente également chaque coupole et pile d'angle d'un clocheton cupiliforme posé sur des colonnettes. 


Saint-Front ne possède de trésor, les guerres des religion ayant plusieurs fois dévasté l'église. Cependant on pourra admirer les stalles du XVIIe siècle, la chaire, les lustres dessinés par Abadie lui-même qui servir à Notre-Dame de Paris lors du mariage de Napoléon III.
La chapelle sud du clocher, dite chapelle de l'ange gardien, abrite deux primitifs du XVe siècle peints sur bois figurant saint Benoît et saint Bernard.

Avant de sortir, je vous conseille en outre un petit détour par la confession nord, dédiée à saint Jacques.


La cathédrale fut classée au monuments historiques en 1840 puis au patrimoine mondial en 1998, au titre des chemins de saint jacques de compostelle en France.

En guise de conclusion, un seul regret, celui de ne pas avoir pu visiter le cloître attenant à la partie sud de la vieille église... Une nouvelle escapade s'impose !

mercredi 11 août 2010

Happy DDay Hans !

Je profite de cette date apparemment insignifiante du 11 août pour rendre un petit hommage en forme de brève présentation à Hans Memling, "primitif flamand" et peintre selon mon coeur qui décèda à Bruges le 11 août 1494.

Triptyque de la Vanité terrestre et la salvation divine
Huile sur panneau de bois
1485
Musée des Beaux-Arts de Strasbourg
Originaire de la région de Mayence, Memling se forme dans un premier temps à Cologne dans la tradition picturale allemande, subissant notamment l'influence de Lochner. Il part ensuite pour Bruxelles et intègre l'atelier de Rogier van der Weyden, maître charismatique dont les oeuvres s'imposent par leur extraordinaire dimension pathétique.
Pour ceux qui auraient l'occasion de faire un tour au musée du Prado, je vous conseille une petite minute de silence devant la Déposition de Croix de Weyden ou bien, moins castillan mais plus proche, le Musée du Louvre et son Triptyque de la famille Braque. Juste pour le plaisir, le revers des volets ...

Triptyque de la famille Braque, Rogier van der Weyden
Huile sur panneaux de bois - H. 40 cm  x L. 60 cm
1450-1452
Retable de saint Jean (détail)
Huile sur panneaux de bois
1474-1479
Memlingmuseum, Sint-Janshospitaal, Bruges


Installé à Bruges, Memling est nommé bourgeois en 1465 et deviendra le premier peintre de la ville alors considéré comme "le peintre le plus accompli et excellent de toute la chrétienté". Le style de l'artiste se nourrit d'une triple influence allemande, flamande et italienne et se caractérise par la grâce dynamique et expressive des personnages, le luxe chromatique et la richesse narrative. 


Son oeuvre, d'un classicisme certain, est largement appréciée pour sa suavité médiévale. Cependant, l'artiste a de nombreux détracteurs, au premier rang desquels Erwin Panofsky : "ses oeuvres donnent une impression d'à-la-manière-de, non parce qu'il s'inspire de ses devanciers (...) mais parce qu'il ne réussit pas à en pénétrer le génie." Imitateur servile, Memling excellerait donc dans un art superficiel, ordonné et bienveillant, quasi immuable. 


J'avoue que ces considérations ne m'empêchent pas de tomber en pâmoison devant cette oeuvre :

Triptyque du Jugement Dernier
Huile sur bois
1467-1471
Muzeum Narodowe, Gdansk

Les historiens de l'art lui concèdent cependant un certain talent dans l'exécution de portrait où il mêlent les enseignements  de van Eyck et de van der Weyden, alliant harmonieusement ressemblance et stylisation.

Portrait d'une vieille femme
Huile sur bois
1468-1470
Museum of Fine Arts, Houston, Texas
Portrait de l'homme à la médaille
huile sur bois
1480
Musée royal des Beaux-Arts, Anvers